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Notre alimentation est-elle dictée en partie par les mythes ?
Notre alimentation est-elle dictée en partie par les mythes ?
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28 avril 2010

OGM : Les enjeux éthiques, moraux, philosophiques et religieux

   Les manipulations génétiques soulèvent de nombreuses questions d'ordre éthique. Le recours aux techniques de la transgénèse est parfois considéré comme illégitime d'un point de vue philosophique lorsque la transgénèse heurte les conceptions que l'on peut avoir à l'égard de la nature, ou religieux lorsque la trangénèse est perçue comme un blasphème. Les expérimentations biotechnologiques reposant sur la transgression des barrières génétiques contredisent un ordre inscrit dans la conscience collective et dont les racines peuvent être trouvées dans les premières pages de la Bible : « La terre produisit de la verdure : des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon » et plus loin, « Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu que cela était bon ». Modifier artificiellement le vivant et créer de nouveaux organismes ne sont pas des actes ordinaires et certains y voient, la manifestation d'une volonté démiurgique pernicieusement hérétique de l'homme, qui tend à défier Dieu dans son absolutisme. La dimension culturelle et religieuse du débat sur les OGM est d'autant plus prégnante qu'elle est souvent subliminale. Au Mali par exemple, « OGM » en langue Bambara se dit Bayèrè ma'shi c'est-à-dire « mère nourricière déformée » ; dans une conception animiste très présente dans ce pays, sous un vernis simpliste, le génie génétique consiste à prendre les gènes d'une espèce pour les introduire dans une autre - de quoi susciter de l'aversion à l'égard de cette pratique aux antipodes d'un modèle culturel fortement teinté de sacralité, où l'ordre naturel passe pour être un ordre intangible.

Que dire des interdits totémiques dans les traditions ou les religions ? Les OGM pourraient bien être perçus dans certaines situations comme une violation de ces interdits, lesquels font partie intégrante de certaines traditions ou religions. L'enquête que nous avons réalisée dans le cadre de nos recherches nous a permis de mesurer le de sensibilité accordé au sacré dans le débat sur les OGM. En effet lorsqu'on entre dans la sphère du sacré, le discours rationnel devient inopérant car les dogmes ne se discutent pas. On y souscrit ou on n'y souscrit pas. De ce fait, on aboutit à une certaine cristallisation des positions enlevant au débat toute sa raison d'être. On présume qu'en Afrique en général et en Côte d'Ivoire en particulier, les OGM auront du mal à connaître le rayonnement qu'ils ont connu aux Etats-Unis par exemple. La variable explicative de cette situation est l'emprise de la tradition et de la religion sur les populations. Notre hypothèse de départ s'est vérifiée sur le terrain. Sur un échantillon de cent personnes choisies dans notre environnement immédiat pour se prononcer sur les enjeux des OGM, seulement cinq pour cent se sont prononcées en faveur des OGM, le reste constitué des quatre vingt quinze pour cent a montré son aversion pour ces aliments artificiels, évoquant ça et là des raisons liés aux traditions et aux religions. Dans la religion musulmane, la consommation de la viande de porc est interdite. Qu'adviendrait-il si des OGM mis sur le marché contiennent des gènes de porc ? Cela serait perçu comme un blasphème. Il en irait certainement de même dans certaines traditions africaines où la consommation de certains aliments est interdite.

Par ailleurs, l'irruption des OGM dans l'agriculture fait ressurgir un vieux débat relatif aux différentes conceptions autour des relations entre l'homme et la nature. Les OGM ravivent ainsi la querelle philosophique entretenue par les naturalistes et les utilitaristes. Pour les naturalistes, la nature prime sur l'homme. Cette approche dite biocentrée, privilégie la préservation de la nature pour elle-même indépendamment de son utilité pour l'homme, et même au détriment des activités humaines. La nature a une valeur intrinsèque, indépendante de l'usage qui peut en être faite, et tous ses éléments, humains et non humains, sont égaux en valeur intrinsèque. Au plan éthique, cela signifie que l'homme est situé à égalité avec les éléments non humains. Cette approche est anti-utilitariste et profondément opposée à l'anthropocentrisme qui place l'homme au-dessus de la nature. Les partisans comme les adversaires des OGM empruntent les uns et les autres des conceptions philosophiques et religieuses pour défendre leur point de vue. Certains opposants aux OGM critiquent leur application à la modification génétique des végétaux et des animaux, tandis que des partisans des OGM estiment qu'une conception de la nature fondée sur la notion de « pureté génétique » est suspecte. Si nous nous abstenons de faire une immixtion partisane dans les querelles philosophiques, il nous est toutefois permis de nous interroger avec Arsène Brice BADO sur certains aspects du problème :

La nature a-t-elle une valeur en soi, ce qui appellerait le respect de la part de l'homme des principes naturels ? Ou n'a-t-elle qu'une valeur utilitaire, auquel cas l'homme est habilité à la modifier, à la transformer fondamentalement? Ou peut-être doit on grossièrement penser comme Francis BACON, philosophe des sciences sociales, que « la nature est une femme publique. Nous devons la mâter, pénétrer ses secrets et l'enrichir selon nos désirs »?

S'il est vrai que par son travail et son oeuvre, l'homme a toujours transformé la nature en y procédant par artifice pour produire de la « culture », ces transformations s'inspiraient, en général, jusqu'à présent des règles même de la nature : on pouvait encore parler de l'homme et de la nature, juxtaposer l'homme à la nature, ce qui conférait à l'homme une responsabilité et des devoirs à l'endroit de la nature. Mais le génie génétique qui permet de modifier la nature dans son essence, d'introduire de nouveaux gènes dans certaines espèces, de modifier, voire de perturber ainsi la biodiversité ne viole-t-elle pas la nature ? Pour Hillel PARIENTE, l'arrivée des OGM fait entrer les pays africains, notamment le Sénégal dans une sphère tout à fait inconnue et engendre un bouleversement terrible au sein des populations qui, jusque-là, suivaient le cours tranquille de leurs vies proches de la « nature ». Que restera-t-il de l'évolution naturelle de ces pays ? Des traditions et moeurs bafouées par une soudaine occidentalisation ?

Ne faut-il pas plutôt se départir de la vision anthropocentrique pour reconnaître à la nature des droits propres, le droit de chaque espèce de garder son identité ou son intégrité génétique ? N'y a t-il pas urgence, à côté des droits humains à promouvoir des droits de la nature ?

Au-delà de cet aspect, les OGM soulèvent une autre question d'ordre éthique, celle relative à la brevetabilité du vivant. Est-il juste de breveter le vivant au profit de quelques firmes ? Beaucoup se sont interrogés sur les enjeux moraux du brevetage du vivant. Le sénateur Mark HATFIELD, chef de file de la lutte contre le brevetage animal américain résume ainsi la situation « le brevetage du vivant soulève une question essentielle d'ordre moral, celle de la vénération que doit inspirer la vie. Les prochaines générations vont-elles adopter l'éthique de cette politique du brevetage et percevoir la vie comme une simple usine chimique et une invention qui n'a pas plus de valeur ou de signification que les produits industriels ? Ou bien le sentiment de vénération l'emportera-t-il sur la tentation de réduitre la vie, qui vient de Dieu, à un simple objet de commerce ?». S'il n'est pas douteux que les OGM soient des « créations » nouvelles, elles le sont cependant à partir d'organismes vivants, les gènes qui constituent le patrimoine de l'humanité. Et le droit de propriété intellectuelle sur les OGM peut-il être reconnu en ignorant simultanément le droit des populations locales sur les ressources génétiques de leur terroir ? Il est pourtant connu que les pays en développement représentent quatre vingt dix pour cent des ressources biologiques mondiales, mais que la presque totalité des brevets appartient à quelques firmes du Nord.

Résumé : Cet article ,publié dans Mémoire online, est une thèse qui soulève un débat sur les manipulations génétiques des aliments.

Source : Université Cocody Abidjan en partenariat avec le Centre de Recherche et d'Action pour la Paix - DESS droits de l'homme, écrit le 5 septembre 2008.

Adresse de l'article :  http://www.memoireonline.com/05/09/2048/m_les-OGM-face--la-question-de-la-securite-alimentaire-controverse-et-dilemme16.html

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